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Le slut shaming est une pratique qui touche particulièrement les jeunes filles et qui consiste à blâmer et à déconsidérer celles dont l’apparence, la tenue vestimentaire, le maquillage, l’attitude voire les comportements amoureux et sexuels, qu’ils soient réels ou supposés, ne correspondent pas aux normes sexuées en vigueur dans leurs groupes d’appartenances.

De l’anglais slut “salope” et du verbe to shame “faire honte”, cette “stigmatisation des salopes” s’inscrit dans un continuum de culpabilité et ne se fonde sur aucun comportement précis. Bien au contraire, elle s’appuie sur des critères fluctuants qui prennent place dans des contextes donnés et se confrontent à des conventions sociales informelles.

Le slut shaming est décrit dans la littérature scientifique comme un outil social de maintien des rôles de genre, qui réduit généralement les femmes à leur simple sexualité. Leurs comportements dits impudiques étant jugés “hors-norme” (vêtements considérés comme provocants, préférences sexuelles décrites comme déviantes, etc.), ils sous-tendent déshonneur et honte sociale, ce que Pheterson (2001) définit comme les traits archétypaux du “stigmate de la putain”.

Synonymes

  • Humiliation des salopes
  • Stigmatisation des salopes

A 13 ans, on nous traitait déjà au collège de vides couilles !

Ce qu’il faut retenir…

Afin de lutter contre l’usage de la violence qu’elle soit physique ou symbolique, les fondatrices de ce mouvement ont mobilisé le ressort de la provocation en appelant cette manifestation la “marche des salopes” justifiant ainsi ôter le monopole de l’usage de cette insulte aux agresseurs, se la réapproprier pour la détourner de son sens péjoratif et pointer du doigt l’absurdité d’un tel usage banalisé dans les discours qui stigmatisent la sexualité féminine.

La terminologie outrancière de ce “nouveau féminisme” (PAHUD et al. ; 2018) fait pourtant débat parmi les militantes qui considèrent pour certaines que la réutilisation de cette injure ne fait que perpétuer les mécanismes de contrôle socio-sexuel patriarcaux, en reprenant un langage profondément misogyne, humiliant et dégradant pour les femmes. Plutôt que de les rassembler, il les divise en les réduisant de manière binaire entre celles qui sont des “salopes” et celles qui ne le sont pas.

Indépendamment de la sémantique, ces féministes s’interrogent également sur la pertinence de refuser d’être considérées comme des objets sexuels mais pour autant de mobiliser les symboles de “saloperie” (sluthood) : mini-jupe, soutien-gorge, rouge à lèvres, etc., qui assignent une image stéréotypée et artificielle au collectif.

Aux origines…

“Women should avoid dressing like sluts in order not to be victimized”.

Quelques mots prononcés le 24 janvier 2011 par Michael Sanguinetti, officier de la police de Toronto, lors d’une conférence sur la sécurité civile à l’Université de York, ont suffi à enclencher un mouvement social de contestation devenu mondial.

Dénonçant la pensée phallogocentrique (néologisme s’inspirant du phallocentrisme qui se concentre sur le point de vue masculin et du logocentrisme qui se rapporte à la langue pour donner un sens au monde - Derrida ; 1972), deux féministes canadiennes, Sonya Barnett et Heather Jarvis, ont décidé de se mobiliser en organisant une marche qui dénonce les violences sexuelles que subissent injustement les femmes dans l’espace public tout en refusant de moraliser ou de culpabiliser leur sexualité.

Venues de toutes origines, de toutes orientations sexuelles, de toutes classes sociales, etc., elles ont été nombreuses à se reconnaitre dans ce mouvement et à s’associer aux différentes manifestations.

L’expression slut shaming s’est ainsi imposée dans le langage populaire à l’occasion de la multiplication de ces “SlutWalks”, “marche des salopes”, “marcha de las putas”, “marcha das vadias”, “marsz szmat”, etc. Autant de réappropriations qui comptent à ce jour plus de 250 villes organisatrices dans le monde.

S’inspirant de cette mobilisation, un autre combat est en train de se structurer contre le lollipopping, cette pratique qui vise à dévaloriser les femmes en les infantilisant, à travers l’utilisation de termes supposés affectueux ou diminutifs tels que “chérie” ou “ma poupée”, renforçant ainsi une dynamique de pouvoir paternaliste. Cette appellation fait référence aux bonbons offerts aux enfants par les médecins pour les apaiser, soulignant ainsi la nature condescendante de cette pratique.

Que dit le cadre légal…

Les pratiques de slut shaming peuvent relever dans certains cas d’outrages sexistes dès lors qu’ils imposent à une personne “un propos à connotation sexuelle ou sexiste” quel que soit l’espace où il s’exprime ou les formes qu’il prend et “qui porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante”.

Ces comportements n’ont pas besoin d’être répétés pour caractériser les éléments constitutifs de l’infraction. Depuis le 1er avril 2023, l’outrage sexiste ou sexuel aggravé n’est plus considéré comme une contravention mais comme un délit. Il est dorénavant puni d’une amende de 3750 €.

Les auteurs d’outrage sexiste peuvent être condamnées aux peines complémentaires suivantes :

-  stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes

-  stage de citoyenneté

-  stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et les violences sexistes

- travail d’intérêt général pour une durée de 20 à 120 heures, etc.

Un exemple concret de slut shaming. Un exemple concret de slut shaming.
Un exemple concret de slut shaming.

Pour aller un peu plus loin…

Quelques références scientifiques :

  • ALMAZAN Vanessa A., BAIN Steve F., College students’ perceptions of slut-shaming discourse on campus, Research in Higher Education Journal, Volume 28, 2015, URL : https://files.eric.ed.gov/fulltext/EJ1062095.pdf
  • DE SENARCLENS Coline, PAHUD Stéphanie, Anatomie de la salope. Des savoirs profanes autour du slutshaming, des slutwalks et de la culture du viol, Itinéraires, n° 2, 2017, URL : URL : http://journals.openedition.org/itineraires/3848
  • GOBLET Margot, GLOWACZ Fabienne, Le slut shaming : étude qualitative d’une forme de sexisme ordinaire dans le discours et les représentations d’adolescents, Enjeux et société, Volume 8, n° 1, 2021, pp. 249-276.
  • HACKMAN Christine L., PEMBER Sarah E., WILKERSON Amanda H., BURTON Wanda, USDAN Stuart L., Slutshaming and victim-blaming : a qualitative investigation of undergraduate students’ perceptions of sexual violence, Sex Education, Volume 17, Issue 6, 2017, pp. 697-711.
  • IKIZ Simruy, Les violences à l’encontre des femmes sur les réseaux sociaux, Topique, Volume 143, n° 2, 2018, pp. 125-138.
  • MERCIER Élisabeth, Sexualité et respectabilité des femmes, la Slutwalk et autres(re)configurations morales, éthiques et politiques, Nouvelles questions féministes, n° 35, 2016, pp. 16-47.
  • PAHUD Stéphanie, PAVEAU Marie-Anne, Féminismes quatrième génération : textes, corps, signes, Itinéraires, n° 5, 2018, URL : http://journals.openedition.org/itineraires/3785.
  • PHETERSON Gail, Le prisme de la prostitution, L’Harmattan, 2001, 216 pages.
  • TANENBAUM Leora, I am not a slut : Slut-shaming in the age of the Internet, Harper Perennial, 2015, 416 pages.
  • WEBER Mathias, ZIEGELE Marc, SCHAUBER-STOCKMANN Anna, Blaming the victim: The effects of extraversion and information disclosure on guilt attributions in cyberbullying, Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, Volume 16, Issue 4, 2013, pp. 254-259.

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