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L’outing est une forme particulière de dénonciation, qui consiste à révéler via la diffusion en ligne d'une vidéo, d’une photo intime, ou encore de captures d’écran de conversations privées, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne sans son consentement, voire contre sa volonté.

Également identifié en français par le terme de “déplacardage”, il trouve son origine auprès de deux expressions anglaises “to come out” (sortir de) et “to have a skeleton in the closet” (avoir un squelette au placard), donnant naissance à l’expression “sortir du placard”.

A la différence de l’acte volontaire et personnel qu’est le coming out, se faire outer est un procédé plus contesté, qui peut exposer et fragiliser l’individu concerné. Il est souvent assimilé à de la délation et au non-respect de la vie privée de la victime. Il est fréquemment exercé à l’encontre de personnalités publiques qui par peur du rejet ou par discrétion n’avaient accepté jusque-là à ce que de telles informations intimes ou confidentielles soient divulguées.

L’intentionnalité première vise à porter préjudice à leur réputation afin de confondre généralement des styles de vie privée avec des propos publics qui sont contradictoires. Plusieurs élus politiques, sportifs, ou encore ecclésiastiques, en sont régulièrement les cibles.

Synonyme

  • Déplacardage

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Ils ont volé mon intimité. Je n’avais pas choisi de le dire à ma famille à ce moment-là...

Ce qu’il faut retenir…

Deux chercheurs américains (Johansson & Percy ; 1994), historiens de formation et militants de la communauté homosexuelle, ont catégorisé dans un ouvrage influent les 6 postures adoptées à l’encontre de ces pratiques d’outing.

Le premier positionnement se veut résolument opposé à cette forme de dénonciation considérant qu’aucune victime ne devrait avoir à subir de tels agissements quelles que soient les circonstances.

La deuxième attitude tolère la révélation de ces informations si et seulement si la personne est décédée et que de telles indications contribuent à un certain apport historique ou enrichissent le débat d’intérêt général.

La troisième posture, qui semble d’après les auteurs la plus répandue, considère que cette dénonciation est justifiée pour les sommités qui ont choisi de “rester dans le placard” mais qui pour autant encouragent publiquement des politiques discriminatoires en raison de l’orientation sexuelle.

Le quatrième positionnement s’inscrit dans la lignée du précédent et justifie l’outing si les personnalités publiques en plus de se prononcer ouvertement en faveur de lois brimant des orientations sexuelles, soutiennent ou travaillent pour des institutions qui appliquent des règlementations discriminatoires telle que l’église catholique.

La cinquième position consiste à outer toutes les personnes dont la notoriété (sportifs, artistes, industriels) peut contribuer à faire évoluer les représentations collectives stéréotypées et combattre les préjugés.

La dernière considère que l’outing de toutes les personnes concernées est au contraire un moyen de lutte contre le silence et l’invisibilité dont la communauté est en général victime, que cet affichage massif est nécessaire pour exercer une politique de résistance globale afin de renforcer les libertés et droits des minorités sexuelles.

Aux origines…

Si l’outing connaît un essor ces dernières années, il n’en est pas pour autant un phénomène nouveau. En effet, le dévoilement de l’orientation sexuelle et de ses pratiques a constitué dès la Rome antique une arme politique redoutable contre Jules César. Ses adversaires auraient tenté à l’époque de le discréditer pour son aventure supposée avec Nicomède IV, roi de Bithynie.

En effet, si aucune censure morale ne s’appliquait en matière d’homosexualité à l’époque dans la mesure où les comportements n’enfreignaient pas les prérogatives en vigueur (relations sexuelles avec des femmes ou bien des hommes de statut inférieur par exemple), la perte de masculinité en revanche était farouchement condamnée.

Or de nombreux quolibets se sont attachés à insinuer que César était le partenaire passif dans cette relation (surnommé tour à tour “reine de Bithynie”, “rivale de la reine”, “César, le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris”) constituant pour le Général romain un déshonneur majeur et persistant, malgré ses contestations.

Si les années 80 ont incontestablement popularisé cette pratique d’outing dans une perspective purement homophobe afin d’empêcher certains élus de gagner des élections et d’accéder à des postes politiques stratégiques, elle fut reprise dans les années 90 par des militants américains de l’association Act Up qui, constatant le manque d’intérêt des politiques pour contrer la crise du sida, ont décidé de confondre des homosexuels influents dans les sphères publiques, pour montrer comment leur passivité faisait le jeu de l’épidémie qui secouait leur communauté.

Que dit le cadre légal…

Le fait de révéler publiquement l’orientation sexuelle ou la transition d’une personne contre sa volonté peut constituer en droit français une atteinte à la vie privée.

En effet, l’article 226-1 du Code pénal (modifié par LOI n°2020-936 du 30 juillet 2020 - art. 17) incrimine “le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :

  1. En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentielles ;
  2. En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé”.

Ces délits sont punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Lorsqu’ils portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende.

Par ailleurs, l’article 226-4-1 du Code pénal (modifié par LOI n°2020-936 du 30 juillet 2020 - art. 19) précise que le fait de faire usage notamment sur un réseau de communication au public en ligne d’une ou de plusieurs données de toute nature permettant d’identifier une victime en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

Un exemple concret d'outing. Un exemple concret d'outing.
Un exemple concret d'outing.

Pour aller un peu plus loin…

Quelques références scientifiques :

  • ALDRIN Philippe, Chapitre 4, Jeux et enjeux politiques de l’information : les rumeurs dans l’agon politique, In ALDRIN Philippe, Sociologie politique des rumeurs, Presses Universitaires de France, 2005, pp. 135-188.
  • AMARI Salima, Des lesbiennes en devenir. Coming-out, loyauté filiale et hétéronormativité chez des descendantes d’immigrant·e·s maghrébin·e·s, Cahiers du Genre, 2012, n° 53, pp. 55-75.
  • FOURNIER Michèle, Le outing : une forme de délation ciblant les homosexuels, In BRODEUR Jean-Paul, Citoyens et Délateurs. La délation peut-elle être civique ?, Autrement, Mutations, 2005, pp. 130-137.
  • JOHANSSON Warren, PERCY William A., Outing: Shattering the Conspiracy of Silence, The Haworth Press Inc, 1994, 352 pages.
  • LE TALEC Jean-Yves, Sortir des placards de la République : Visages de l’homosexualité dans le monde politique français, L’Homme & la Société, 2013, n° 189-190, pp. 123-144.
  • MAYNARD Philippe, Le prix de la différence, Michel Lafon, 2000, 233 pages.
  • MILLER Dominique, Chapitre 3. L’arrangement social, In MILLER Dominique, La psychanalyse et la vie, Odile Jacob, Hors collection, 2005, pp. 139-199.
  • MOHR Richard D., Gay Ideas: Outing and Other Controversies, Beacon Press, 1992, 336 pages.
  • MURPHY Timothy F., Gay Ethics. Controversies in Outing, Civil Rights, and Sexual Science, Routledge, 1994, 380 pages.
  • POLLACK David H., Forced out of the Closet: Sexual Orientation and the Legal Dilemma of Outing, University of Miami Law Review, n° 711, 1992, URL : https://repository.law.miami.edu/cgi/viewcontent.cgi? article=1925&context=umlr
  • POUZOL Valérie, Dire la différence sexuelle. Stratégies, discours et mise en scène des militantismes LGBTQ en Israël et en Palestine, Tumultes, n° 41, 2013, pp. 157-178.

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